ÉVANGÉLISER LE CŒUR DE L’AFRIQUE : UNE ÉVALUATION
DE L’APPROCHE DE BUJO BÉNEZET.

Josaphat Krikaidja Longa Semire
Université Shalom de Bunia, Centre Afrique


 

Introduction

Définition  des concepts

État de la question

Déploiement de  la théologie proto-ancestrale chez Bujo

Évaluation de la théologie proto-ancestrale

Conclusion

Bibliographie



INTRODUCTION

            L’Afrique noire est passée sous la table rase de ses pratiques traditionnelles depuis la pénétration des pionniers portugais, vers le XVIe siècle, et suivi de la pénétration étrangère, d’autres missionnaires dans le cœur de l’Afrique subsaharienne  XIXe siècle. Mais jusqu’à ces jours, les réalités africaines sont encore vivaces dans l’esprit de beaucoup d’Africains. D’aucuns s’interrogent, « Y a-t-il  aujourd’hui l’Afrique traditionnelle ? » Nous disons avec Wyles leitch, que l’homme africain est coincée[1] entre la premodernité, la modernité et la postmodernité. C’est-à-dire, il s’attache à la réalité traditionnelle et conserve les langages préscientifique, mythique et irrationnel, d’une part. En même temps, la modernité lui offre le principe de la raison universelle et de la vérité objective, d’autre part. La religion est remplacée par le matérialisme et pour conséquence la sécularisation de la foi dans le centre urbain africain. L’homme croit en l’homme. Par ailleurs, l’Afrique embrasse la postmodernité avec ses aléas à savoir le pluralisme et le relativisme. Car, selon cette vague postmoderne, la vérité est locale. A cet égard,  les pratiques éthiques et spirituelles sont aussi valables dans la Religion Traditionnelle Africaine que dans d’autres religions.  C’est la voie que Bujo veut embrasser. L’une des questions essentielles est celle de savoir : Qui est Jésus pour nous aujourd’hui dans ce monde pluriel? Y a-t-il  une voie ou plusieurs voies du salut ?

En effet, la question du salut unique en Jésus Christ est devenu un sujet de débat dans la théologie africaine, dans les années 60 et au début des années 70. Parmi les théologiens africains, le débat fut animé par Bolaji Idowu, John Mbiti dans le souci d’indigéniser le Christianisme, et bien d’autres. Tandis que Byang kato et Tokunboh Adeyemo, dont nous avons eu le privilège de suivre l’une de ses conférences, réfléchissent autour du thème de la Religion traditionnelle Africaine et le Christianisme, et donnent la primauté à la révélation biblique, qui est supraculturelle, mais n’ignorent pas pour autant la nécessité de communiquer l’évangile au cœur de l’Afrique. De même, Kwame Bediako et d’autres comme Lamin Sanneh, s’intéressent à l’identité du Christianisme en Afrique.[2]

Par contre, le Nigérian Yusufu Turaki, qui s’inscrit dans la ligne de Kato, se penche sur un agenda différent de la traduction de la vérité chrétienne dans le contexte africain et comment traduire les données christologiques dans la pensée africaine. Ce dernier estime que Kwame Bediako se penche plus sur la catégorie africaine que sur la vérité chrétienne.

Par contre, d’autres théologiens africains abordent la question de la médiation entre Dieu et l’humanité à travers Christ et l’ancêtre, selon la tradition orale  africaine. C’est ce que  nous propose l’abbé Bujo Bénezet, qui apporte une contribution importante dans ce débat et bien d’autres comme Kabasele Lumbala François. Ce dernier cherche à concilier les deux concepts de l’ancêtre et de Christ ; et déclare que : « La médiation ancestrale permet aux chrétiens bantu de mieux comprendre la plénitude de la médiation de Christ.[3] » Certes, c’est un effort non négligeable d’africaniser la foi chrétienne, en christianisant la catégorie africaine. Mais, cette théologie proto-ancestrale de Bujo mérite une évaluation. En effet, Bujo propose le concept «ancêtre » comme une autre voie du salut, sous la médiation christique.

            En dépit de disparités dans l’approche de la question de médiation et des intermédiaires dans la pensée africaine. Cette médiation unique de Christ est passée dans l’avant plan dans ce débat et demeure un des sujets importants en Afrique aujourd’hui. La notion des ancêtres intéresse nombre des chercheurs africains, théologiens, sociologues, anthropologues, et philosophes. Léopold Sedhar Senghor, disait que : « Nos ancêtres sont les plus vieilles figures de Dieu.[4] » Cette pensée réfléchie de l’un des pionniers et grands penseurs africains, marquée par son génie littéraire, réitère l’importance des ancêtres et la richesse de l’anthropologie africaine dans la Religion Traditionnelle avant le Dieu des missionnaires. L’affirmation de Bujo rejoint ces propos de Senghor en ces termes : «Christ est le lieu privilégié de la saisie totale des ancêtres, les ancêtres négro africains sont des images de l’ancêtre initial, et par excellence, le Christ.[5] »

            C’est pourquoi, la Christologie prend de nos jours une nouvelle orientation plus narrative que le dogmatisme classique sur le plan mondial. Selon Gabriel Fackre «affirmer Jésus comme sauveur du monde entraîne la narration de ce grand récit, qui traverse les limites de temps et des frontières des cultures. Il aborde la Christologie narrative dans une perspective historique.[6] » Bien évidemment, le terme «sauveur du monde » évoque l’idée universaliste. En effet, selon Fackre, la version narrative de la théologie évangélique cherche à interpréter sans prétendre à être le chemin, la vérité et la vie dans le contexte du monde pluriel religieux aujourd’hui.[7] Cependant, ce qu’il faut retenir dans ces propos de Fackre est la transculturalité, c’est-à-dire que la vérité de l’évangile peut être linguistiquement traduisible à travers toute culture. En effet, la notion de l’ancêtre en Afrique devient importante dans la Christologie narrative à cause de deux facteurs :

Le premier facteur, c’est un moyen traditionnel de communiquer par l’oralité et de transmettre les coutumes des ancêtres en Afrique de génération en génération. Le deuxième facteur est le choix et la place que les ancêtres occupent dans la pensée africaine.

De même, Bujo aborde une Christologie du type narratif, fondée sur l’anthropologie et la sociologie africaine. Il croit aussi que la catégorie africaine de l’ancêtre et la morale africaine ont des valeurs au même titre que la médiation de Christ. En effet, il déclare que Christ est l’ancêtre par excellence, dont le souvenir de sa passion, c’est-à-dire sa mort et sa résurrection, doit être raconté de génération en génération. Dans son article «nos ancêtres, ces Saints inconnus » et dans son ouvrage African Theology in its Social Context, il développe cette théologie dite proto ancestrale. Son approche, qui est à la fois populaire et savante, est essentiellement ancrée sur la place et le rôle des ancêtres dans la vie chrétienne et dans la réflexion théologique.

            Notre hypothèse est que le croyant africain, tout en étant baptisé, christianisé, reste attaché à sa culture et compromet la foi chrétienne dans sa vie quotidienne. C’est pourquoi, nous pensons qu’une inculturation, c’est-à-dire une évangélisation au cœur de l’Afrique serait une solution à ce problème de superficialité de la foi, après des centaines d’années du Christianisme africain. C’est-à-dire qu’il faut traduire la vérité chrétienne dans la vie de l’Africain. Un penseur africain déclare : « le privilège, donné en Afrique à la famille au sens large et au clan dont l’ancêtre fondateur, fait figure de médiateur entre la descendance et Dieu, a besoin d’être évangélisé.[8] » Toute approche scientifique fait appel à une méthode d’approche. Nous adoptons une méthode systématique, dans une approche hypothético-déductive afin de répondre à certaines exigences scientifiques, celle d’être logique, rationnelle et lier le savoir à la pensée. C’est-à-dire de répondre aux besoins de la communauté de base.

Ainsi, devons-nous préciser la terminologie de ces concepts pour faciliter la compréhension. Nous définissons les termes suivants : Afrique, vénération, culte et ancêtres.

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DÉFINITION  DES CONCEPTS

Que dire de l’Afrique? L’Afrique est notre mère.  Cet esprit africaniste anime le cœur de tous les Africains. C’est une fierté de parler de l’Afrique noire. Elle est situé au sud du Sahara et limité à la partie australe au nord du fleuve Zambèze. L’Africain, habitué au soleil ardent équatorial et tropical, était victime des pillages de ses ressources, de ses masques, voire de ses dieux, suite à la traite des Noirs, l’esclavagisme, la colonisation, le néo-colonialisme, et le néo-impéralisme, et la christianisation par l’Occident. Il y a lieu de s’interroger. Y a-t-il  l’Afrique traditionnelle aujourd’hui ?

Le débat est au cœur de discussion au sein des penseurs africains. Bien évidemment, aujourd’hui cette réalité change dans les centres urbains, mais reste marqué dans l’esprit africain, par la peur des ancêtres méchants, des sorciers du clan, d’où l’obligation de vénérer des ancêtres pour les apaiser, et la superstition parmi les christianisés d’Afrique même dans les grandes villes. L’Afrique partage en commun, cette réalité historique, sociale, religieuse, géographique, et alimentaire. Nous sommes conscients de mutation et transformation qui change l’Afrique traditionnelle, la langue qui est un des élément clés de transmission de la culture est ignorée de plusieurs nés de métissage culturel. L’Afrique traditionnelle change, car les conditions pour le maintien d’une culture ne sont pas réunies telles que la langue, les agglomérations traditionnelles en village, suite à l’urbanisation et les phénomènes de la mondialisation mais reste quelque part attaché à ses racines. S’agit-il d’un culte des ancêtres ou d’une simple vénération dans la Religion Traditionnelle Africaine ?

Qu’entendons-nous par vénération ou culte des ancêtres ? Les deux concepts sont interchangeables mais non concluants. Si nous interrogeons le dictionnaire, le mot « vénération » a le sens de rendre hommage à une divinité ou un culte, et adorer une divinité, mais n’implique pas nécessairement une liturgie en tant que tel. Tandis que, le culte signifie aussi une dévotion, vénération à une divinité, cependant, le mot porte le sens d’une adoration organisée, liturgiquement structurée.

Nombre des penseurs estiment qu’il n’y avait pas de culte au sens liturgique du terme dans la Religion Traditionnelle Africaine. Bujo est l’un de ceux qui partage aussi cet avis, lorsqu’il affirme que : «Dans le culte ancestral, il n’y a pas un temps fixe pour adorer Dieu, l’individu n’a pas besoin de réunir les autres, avec lui pour vénérer les ancêtres. C’est dans le vécu quotidien que la personne vénère les ancêtres [à travers les gestes, les paroles et les éloges faits à ces ancêtres.] C’est, en se souvenant des ancêtres, et en les vénérant, que l’on peut jouir de la vie dans sa plénitude.[9] »

            Nous partageons aussi cet avis que les ancêtres n’étaient pas adorés dans un culte organisé ni structuré, ni moins avec un prêtre ? Car, chaque famille ou clan avait son dieu ou son totem.[10] Cette tradition totémique se perpétue et racontée oralement de génération en génération avec stricte interdiction d’en manger l’animal «sauveur ». C’est au père de famille que revenait le rôle du protecteur de la famille, à qui est conférée le pouvoir religieux, économique et social. Mais, il n’est pas question du rôle d’un prêtre en tant que tel. Dans des circonstances diverses, telles que lors des récoltes, de la chasse réussie, que les hommes faisaient des éloges à Dieu.

A plus forte raison, les offrandes offertes aux ancêtres dans des petites maisonnettes appelée kiroro dans une langue bantoue de l’Est du Congo Kinshasa, sont des lieux un peu isolés et privés derrière la hutte, non un endroit public de rassemblement. Turaki, un théologien évangélique Nigérian le confirme dans ces propos : «Les cérémonies religieuses autour des ancêtres est strictement une affaire privée et familiale ; car il implique les membres de la famille ou la maison, c’est-à-dire, les descendants directs qui sont les seuls à avoir accès et habilité à offrir de libation sur la tombe à un endroit fixe. »[11]

Toutefois, il convient de signaler que le culte actuel de Vodun dans l’Afrique moderne prend la forme d’une religion organisée avec des adeptes, et des publicités dans la rue de la capitale béninoise.[12] Ce culte des morts d’antan que soulève Jean Marc Ela et d’autres, n’est que le terme pour désigner cette vénération aux morts vivants qui prend aujourd’hui une autre forme organisée et s’oppose clairement au messie blanc pour le Vodou.

En outre, les coutumes se transmettent de père en fils avec des cérémonies spéciales de transmission du défunt au fils aîné investi (omugweto en langue bantoue). Bujo relate dans son ouvrage African Theology in Its Social Context, 1986. Nous remarquons que ce fils aîné est d’office successeur, héritier, détenant le pouvoir religieux, gardien des coutumes du clan après la mort de son père. Selon le sociologue congolais Lobho Lwa Djujudjugu : «Les ancêtres continuent à être les dirigeants de la vie de l’ensemble du groupe ethnique ou de la tribu. Il dicte les lois et les coutumes qui sont immuables.[13] » A cet égard, les fétiches et la sorcellerie ont une valeur traditionnelle, et sont conservées et transmises à comme héritage à travers les tantes à leurs nièces de génération en génération mais toujours sous la supervision du chef du clan ou de la famille. Que signifie le mot « ancêtre? ».

L’ancêtre est l’ascendant, c’est-à-dire la personne de qui tous les descendants du clan tirent leur force vitale par le lien du sang. Ce n’est pas n’importe qui, qui devient ancêtre. Pour être ancêtre, il faut remplir certaines conditions à savoir :

-          Avoir l’âge adulte et être rassasié des jours ;

-          Avoir transmis la vie, en procréant ;

-          Mourir bien, c’est-à-dire d’une mort naturelle. Tout décès tragique comme le suicide comme la mort suite à un accident, ou d’une salle maladie, mourir jeune ou célibataire sans enfants,  c’est couper le lien avec les morts et les vivants, exclut l’homme de mériter d’être ancêtre.

-          Etre modèle d’une bonne moralité selon le standard tribal.

Selon Mbiti, ce ne sont pas tous les esprits qui sont des ancêtres et ce n’est pas n’importe qui, qui devient ancêtre. Car il y a des ancêtres qui sont nocifs pour tout le clan, ils sont plutôt objet de peur que sujet d’une vénération. Quant à Bujo, «c’est Christ qui peut vaincre leur nocivité. » Par ailleurs, l’Africain vénère seulement les ancêtres qui ont fait preuves de bonne moralité et qui sont considérés comme des Saints, étant justes, vertueux, intercesseurs auprès de Dieu en faveur de l’ensemble du clan. L’importance de l’ancêtre se définit, selon chaque peuple, et nous ne devons pas trop généraliser la chose ni exagérer les particularités.

En effet, le rôle de l’ancêtre en Afrique est important pour plusieurs raisons :

La première raison est le lien naturel qui lie les descendants à un ancêtre commun par le lien du sang, et son rôle d’intermédiaire entre Dieu et le monde des vivants. La deuxième raison est leur statut privilégié de super naturel et de sacré, compris en termes de forces super humaines, et leur proximité de Dieu par rapport aux vivants; par conséquent, leur rôle de médiation entre Dieu et l’humanité. La troisième raison est leur intervention dans les affaires des hommes et leur modèle de bonne conduite.

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ÉTAT DE LA QUESTION

Nous nous referons à d’autres penseurs africains comme Kwame Bediako, John S.

Pobee dans le contexte ghanéen de Jésus est « Nana  », le grand ancêtre le plus grand ancêtre ; chez Penoukou, l’ancêtre Joto chez les Ewe-Mina du Togo et chez Charles Nyamiti aussi de la Tanzanie, qui parle des ancêtres, pour qui Christ est à la fois frère et ancêtre. Pour Abraham Akrong, chez les Akan du Ghana, parle de Christ comme Nana et ancêtre guerrier et ancêtre héros.

Cependant, il convient de signaler la limitation du concept «ancêtre », car il n’est pas possible d’appliquer l’ancêtre à Christ de façon littérale, ni non métaphysique. Selon Donald J. O.P Gœrgen, l’aspect de proto ancêtre chez Bujo est préférable à l’ancêtre tout court « pour échapper aux limitations de l’expression de concept «ancêtre » pour l’appliquer à Christ. Le titre proto ancêtre signifie que Jésus n’a pas réalisé seulement l’idéal authentique des ancêtres craignant Dieu, mais aussi transcende infiniment cet idéal et l’apporte à une nouvelle complétion. »[14] Dans ce sens métaphysique, le concept « proto ancêtre  » peut être intégré dans la vie chrétienne et la réflexion théologique.

L’Afrique privilégie la notion des ancêtres, et de la famille ou du clan dont l’ancêtre fondateur ou proto ancêtre est figure de médiation entre l’humanité et Dieu mais aussi symbole du pouvoir religieux, culturel et économique. Le point qui nous intéresse est son rôle du pouvoir religieux par rapport à la voie unique du salut en Christ.

A. LA PROBLÉMATIQUE

La question cruciale qui oriente ce débat est celle-ci : Comment la catégorie africaine peut-il fonctionner de manière significative comme clé herméneutique pour comprendre ou interpréter Jésus Christ en Afrique?[15]

Comme s’interroge le théologien canadien Diane B. stinton.

Cette question en effet constitue la problématique dans ce débat et démontre la pertinence du sujet. Car elle soulève deux problèmes :

Le premier problème est il y a disparité quant à l’approche méthodologiques sur la question d’intermédiaire ou de médiation entre Dieu et l’humanité, par les moyens des mythes africains tel que l’ancêtre. Chacun prend une orientation particulière.

En effet, pour les théologiens comme Bolaji idowu, « les mythes remplacent les

vérités chrétiennes. » Mais, quant à Mbiti, « les mythes complètent les données christologiques », comme une « préparation à l’évangile. Selon Bediako, il faut traduire les vérités chrétiennes dans les idiomes africains pour l’identité d’un Christianisme africain

Pour Bolaji Idowu, il adopte l’indigénisation, c’est-à-dire que la catégorie

africaine est aussi valable que la vérité chrétienne. Ces mythes remplacent les vérités chrétiennes. Par exemple, il déclare que «la Religion traditionnelle Africaine (en sigle R.T. A) est l’Ancien Testament des Africains. » C’est-à-dire qu’il y a continuité entre la R.T.A et le Christianisme. Il tombe dans le syncrétisme. Car il indigénise la foi Chrétienne. De même, Mbiti considère que les mythes africains peuvent être complétés par les données christologiques ; et sont », il tombe lui aussi dans une sorte d’indigénisation, qui altère la personne de Christ et sa mission.

En revanche, l’approche de Bediako, se penche sur la traduction des vérités

chrétiennes dans la réalité africaine, et bien d’autres comme Sanneh qui ont suivi cette démarche. Bediako cherche à « exprimer les concepts chrétiens dans les idiomes africains. »

Par contre, Turaki, qui est dans la ligne de Byang Kato, pense que Bediako se

penche plus les conceptualités africaines que sur la vérité chrétienne. C’est un risque réel de se pencher plus sur la catégorie culturelle que sur la vérité chrétienne. Ce risque guette tout contextualisateur. Ainsi, croit-il faire des avancées importantes que Bediako, en mettant l’accent sur la traduction des vérités chrétiennes dans les réalités africaines.

Par ailleurs, le Prof. Isaac Zokoue considère « les mythes comme des supports d’enseignement » pour annoncer Christ efficacement. Christ comme sauveur est présenté à tous. Cependant, ces croyances sont à prendre avec prudence, car ils risquent de « falsifier la révélation biblique ». Le choix des symboles valables exige une sélection minutieuse. Selon Zokoue, Christ intègre la lignée du clan comme parent, par le lien de parenté très fort, selon la culture Manza en République Centrafricaine, mais sans le lien du sang. Ces symboles peuvent servir de lien avec les données christologiques. Quant à Bujo, qui n’a pas la même approche, veut concilier la catégorie africaine et ses éléments valables de la culture avec la vérité chrétienne, sorte de christianisation.

La question de comment Christ devient ancêtre africain n’est pas résolue. Aucun théologien, dans les diverses approches précitées, n’explique de manière claire comment Christ devient homme africain. Ce n’est ni l’indigénisation de Mbiti, ni la traduction de Bediako, ni la christianisation de Bujo et l’assimilation de kabasele Lumbala de deux concepts, ni par tolérance ni l’accommodation que nous arriveront à concilier les deux réalités opposées.  En effet, l’effort de contextualiser les catégories africaines n’aboutit pas à concilier la culture et l’Écriture. Cet effort est très souvent superficiels car ils travaillent au niveau des périphéries de la culture africaine et de la vérité chrétienne. D’où, se dégage le problème de l’intégration effective de la vérité chrétienne dans la catégorie africaine.

En effet, le second problème est la question de l’intégration effective de catégorie africaine dans la vie chrétienne et dans la réflexion théologique. Bujo veut plutôt intégrer Christ dans la lignée des Africains par le lien mystique. La question que ce dernier soulève, est rationnelle à savoir :

Comment peut-on intégrer la vénération des ancêtres dans la vie chrétienne ou la perspective théologique sans contredire le message salvifique de Jésus-Christ ?

C’est la problématique que soulève Bujo dans ce débat dans le cadre de l’Association Œcuménique des Théologiens Africains (A.O.T.A.). Dans l’approche populaire, il y a la narration des souvenirs des ancêtres et de Christ par les descendants qui cherche à intégrer dans la vie chrétienne. Tandis que dans l’approche savante, il développe sa théologie proto ancestrale, en cherchant à intégrer la catégorie africaine de l’ancêtre dans la vie chrétienne et la perspective théologique.

IMPORTANCE DU SUJET

Quant à l’importance du sujet, la question devient intéressante à cause de défis et enjeux qu’il comporte d’ordre épistémologique, ecclésial, pratique et théologique. Il s’agit de la valeur de la culture africaine, le besoin humain de recevoir la vérité de l’évangile dans un contenant africain. En outre, comment l’intégrer dans le vécu quotidien dans la co-existence pacifique entre les ethnies dans l’église, l’organisation ecclésiastique sur un modèle africain de succession ancestrale la lutte contre la pauvreté des membres. Bujo développe l’aspect narratif de sa théologie des ancêtres qui nous intéresse dans les lignes qui suivent.

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            DÉPLOIEMENT DE  LA THÉOLOGIE PROTO-ANCESTRALE
CHEZ BUJO

            Bujo aborde les points suivants dans sa théologie protoancestrale : Sotériologie commémorativo-narrative, Christologie narrative, Ecclésiologie proto ancestrale, Éthique africano-christocentrique, et l’au-delà eschatologique renvoyé dans le passé (Zamani), vécu dans présent, en se souvenant des ancêtres et en le vénérant. Avant d’entamer le vif du sujet, considérons l’identité de Bujo, ses œuvres et sa sensibilité. Qui est Bujo Bénezet?

            La pensée de Bujo[16] dans sa théologie des ancêtres peut se résumer dans ces propos :

« Le souvenir libérateur des ancêtres est, depuis l’incarnation, passé dans le souvenir libérateur de l’histoire de la souffrance de Jésus-Christ, devenu réellement un morceau de notre terre, ainsi identifié avec les ancêtres craignant Dieu, alors notre attitude révérencielle envers les ancêtres est l’expression de notre solidarité dans le corps mystique de Jésus-Christ. Il est pensable d’incorporer, avec ces Saints que nous avons, les ancêtres négro africains craignant Dieu dans le canon de la messe, et fêter tous les ancêtres héros, ayant fait preuve d’une vie vertueuse.[17] »

            Ce résumé soulève la question de qu’en est-il de nos saints ces ancêtres negro-africains qui sont morts sans écouter l’évangile? Ne peut-on pas les assimiler aux saints païens dans la Bible comme Melchisédech, Job, Jéthro et  Corneille ? Nous ne pouvons entre dans cette polémique ici mais nous voyons dans l’angle de Bujo le dépoillement de sa théologie proto ancestrale.

THEOLOGIE PROTO ANCESTRALE

  1. Sotériologie commémorativo-narrative

Bujo lie sa christologie à la pneumatologie, à l’ecclésiologie, et à la sotériologie. En effet, il affirme que : « En réalité, quiconque voudrait proposer une ecclésiologie, une christologie et une théologie sacramentelle d’un point de vue de la vénération des ancêtres africains, devrait faire particulièrement attention à ces morts vivants, dont la commémoration, par leurs descendants, est indispensable, bénéfique et même salvifique pour leur existence terrestre.[18] » A cet égard, Bujo considère la sotériologie comme une commémoration de souvenir de la libération des ancêtres et de Christ, à travers son incarnation et sa souffrance tel que exprimé dans le résumé ci haut. Le sens de Christ comme seul pôle des ancêtres, le premier-né de toute la créature, s’inspirant du texte de Col 1, 15, les prémices de tous ceux qui sont morts, lient Christ aux ancêtres et à nous par ce lien mystique. Cette délivrance doit être narrée et redite de génération en génération, Christ par son incarnation se solidarise aux hommes et partage leur vie, et à son tour, nous fait partager la nature de Dieu au sens mystique et super naturel. Chez Bujo, la vénération des ancêtres et leur souvenir par les descendants constituent aussi une voie du salut. Donc, le salut consiste à se souvenir, à vénérer les ancêtres, et à partager la vie de Dieu à travers l’incarnation, la mort et la résurrection de Christ. Par ce lien mystique, ce dernier nous communique la vie de Dieu.

  1. Christologie narrative

La christologie narrative est fondée sur l’anthropologie africaine et sur le système de l’oralité. C’est pourquoi le récit de la délivrance des ancêtres et de la délivrance de Dieu de la Bible, à travers l’histoire d’Israël, doit être raconté de génération en génération. La libération vétérotestamentaire est une auto présentation de Dieu de génération en génération.

Par ailleurs, par son incarnation, Christ s’est solidarisé avec les ancêtres en sorte qu’en lui, se fondent l’être et la vitalité de nos ancêtres. Certes, dans une approche populaire, il est possible d’aborder la question de cette manière simpliste. Mais, dans une approche savante, la question devient délicate. Comment Christ est-il devenu homme africain? Qu’en est-il de sa divinité ou de son humanité?

En effet, en entrant dans la lignée clanique Christ devient inférieur à Dieu et aux ancêtres. Or, dans l’ontologie africaine l’idée d’un Dieu homme n’est pas concevable. Son humanité est en quelque sorte promue, mais sa divinité est altérée. En effet, dans l’ontologie traditionnelle africaine, Dieu est Un et a, à ses cotés, les divinités et les esprits intermédiaires. Néanmoins, pour Bujo, Christ comme proto ancêtre est la clé herméneutique pour comprendre la christologie « d’en bas  » fondé sur l’humanité de Christ, correspondant à l’anthropocentrique africaine.

  1. Ecclésiologie proto ancestrale

Deux aspects sont à signaler. Il s’agit de l’église famille de Dieu que fonde Christ le proto ancêtre et de la question de succession fondée sur le modèle ancestral des pères à fils. Christ comme proto ancêtre fonde la nouvelle communauté de foi. Par son incarnation, Il communique la vie de Dieu et unit les croyants dans la famille de Dieu.

En outre, la succession apostolique pétrine est fondée sur ce modèle de la succession ancestrale à travers le fils aîné. Ce dernier détient le pouvoir culturel, comme gardien des coutumes, pouvoir religieux et économique. C’est ainsi que Bujo assimile la succession de l’Apôtre Pierre au Pape en passant par les évêques de génération en génération. Pour Nathanaël Yaovi Sœde, l’église famille de Dieu offre au disciple un message qui insère sa vie éthique dans la dynamique incarnationnelle.

  1.             Ethique africano-christocentrique

Il rappelle les valeurs morales ancestrales telles que le respect aux personnes âgées, l’hospitalité, la préoccupation envers les parents, les soins aux orphelins et aux veuves. Il croit que ces valeurs sont rendues parfaites en Christ. Cette éthique est centrée sur Christ mais aussi sur la sociologie africaine. Car, les coutumes africaines privilégient le respect aux personnes âgées et la préoccupation des parents démunis. En outre, la vie est sacrée, et centrale dans la morale africaine. L’éthique africaine donne de la valeur à la vie, Car, le lien perpétue la vie. A travers le modèle parfait, la vie en communauté devient harmonieuse. Les ancêtres acquièrent le statut des Saints par leur vie modèle dans la société. Donc, selon Bujo, les ancêtres sont des vertueux et des justes, et méritent d’être insérés dans le canon de la messe pour être fêtés comme tous les autres Saints. D’où, la légitimité de la question que Bujo soulève : Qu’en est-il de nos ancêtres, ces saints inconnus ?

  1. Eschatologie renvoyée dans le zamani (passé),
    sphère ontologique des ancêtres

Il convient de noter qu’il exploite la notion d’Adam eschatologique. En outre, il renvoie

l’au-delà dans le zamani, terme swahili[19] pour désigner le passé, la sphère des morts vivants. Dans la conception africaine, les morts vivants sont dans l’au-delà que Bujo situe dans le zamani. Selon Bujo, c’est, en se souvenant des ancêtres, et en les vénérant, que la vie de l’ici bas et de l’au-delà est jouie dans sa plénitude. Bujo comprend le sasa (présent) de Mbiti dans ce cadre de lien intime avec le zamani. Il n’y a pas de projection dans le futur. Le sasa reste un temps potentiel. Il est possible de parler de «l’eschatologie du présent ». Tout se déroule dans un mouvement cyclique focalisé sur la vie et la recherche du bonheur d’ici bas. Selon une mythologie africaine,  l’homme aurait perdu le paradis à cause de la désobéissance, de ce fait la seule possibilité de jouir de cette communion de l’au-delà est de s’investir dans le présent, en vénérant les ancêtres, l’Africain aspire à cet âge d’or.

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ÉVALUATION DE LA THÉOLOGIE PROTO-ANCESTRALE

Les critères suivants nous permettent d’évaluer l’approche de Bujo. Il s’agit de :

Rationalité des concepts, consonance avec la tradition, fidélité à l’Écriture, l’adéquation, c’est-à-dire, la réponse aux besoins de la communauté de foi et le développement de l’humain. Toute proposition théologique qui se veut chrétienne doit répondre à ces exigences. Nous considérons les points faibles qui suivent.

POINTS FAIBLES

Quant à la rationalité des concepts, Bujo semble forcer la christianisation de la catégorie africaine de l’ancêtre en l’assimilant en Christ. Il altère la personne de Christ en la relativisant et sa mission est également alternée par la médiation de l’ancêtre. En effet, il y a une incompatibilité entre les deux catégories d’absolu et de relatif.  Christ, est absolu, c’est-à-dire, non dérivé, et ancêtre est relatif, c’est-à-dire, dérivé. Les différentes approches doivent répondre aux principes logiquement acceptables. Bien évidemment, la traduction mot à mot n’aboutit pas à une contextualisation véritable. Une contextualisation véritable n’est pas une traduction mot à mot ni une accommodation qui s’arrête à la périphérie mais plutôt exige de contextualiser le cœur même, qui est Christ. A fortiori, c’est toute la doctrine qui doit être contextualisée.

Pour ce faire, il faut bien connaître la vérité de l’évangile et aussi comprendre la réalité de la culture. Bujo mélange la vénération de l’ancêtre et celle de Christ proto-ancêtre. Car linguistiquement, il faut établir une relation sémantique entre le signifiant et le signifié, appélé referant. Ici le signifiant est le proto ancêtre. En effet, ancêtre comme signe ou symbole est un langage culturel africain, et pour se concilier avec le signifié, Christ, doit avoir son referant dans la vérité chrétienne, c’est-à-dire le sens de la réalité de Christ dans l’Écriture. Donc, il faut trouver un point de réconciliation entre le langage et le sens pour que les deux concepts trouvent un referant, autrement dit pont herméneutique.

Sur le plan épistémologique, la catégorie de proto ancêtre n’est pas logiquement conciliable avec le Christ. Il s’agit de deux catégories différentes, l’un dérivé et l’autre non dérivé. Or, la culture est norma normata, c’est-à-dire une autorité dérivée, tandis que l’Écriture est norma normans, c’est-à-dire une autorité non dérivée. Ces aspects sont nécessaires pour mettre en dialogue le contexte culturel et l’Écriture. cf. Bosch, Zorn, cité par Van den Toren.[20] Autrement, il y a risque du syncrétisme et du relativisme, la localisation de la théologie voire du réductionnisme. A cet égard, Bujo tombe dans ce piège du syncrétisme et du relativisme voire du réductionisme. Car il mélange les deux réalités, et réduit Christ à un statut d’inférieur à l’ancêtre et à Dieu.

En outre, l’ancêtre est une réalité subjective. Car il répond à certaines logiques culturelles tandis que Christ est une réalité objective et historique. Le lien entre le deux nous parait arbitraire. Même il ne répond pas à la logique mathématique : «le signe égale à la chose ».  En effet, la relation entre les deux catégories ne répond pas à cette théorie positive.[21] L’ancêtre n’est pas égale à Christ. La notion de proto ancêtre, qui est dans la tête ou la pensée de Bujo, doit correspondre à la réalité de Christ dans la Bible. Donc, ce concept d’ancêtre n’exprime pas de manière significative la réalité de Christ.

Sur le plan linguistique, il faut avoir une relation sémantique, c’est-à-dire un referant entre le signe ou le symbole, ou le langage et le sens pour avoir un concept signifié. Le signifiant, ici ancêtre (langage) et le signifié ou la chose signifiée (sens), à savoir Christ. Ce dernier est le contenu conceptuel du signe ou du symbole. Bien qu’il soit un substitut ontologique, le symbole, c’est-à-dire « signifiant  », ne doit pas supplanter la chose conçue ou le « signifié », qui doit prendre le statut objectif. Donc, ce qui est subjectif dans la pensée de Bujo, comme proto ancêtre doit pénétrer la vérité biblique. C’est à ce point que la contextualisation du proto ancêtre peut devenir significative. Ainsi, la catégorie africaine en question doit servir de pont herméneutique pour interpréter Jésus-Christ en Afrique. C’est la voie que prône les missiologues McGavran et Paul. G. Hiebert.[22] Ce ne semble pas être le cas avec l’ancêtre et Christ.

Nous estimons que certains aspects de la vérité de l’évangile sont négociables lorsqu’ils ne touchent pas directement à la question du salut en Christ. Les vérités bibliques qui sont explicitement déclarées dans la Bible, et qui touchent à la question du salut en Christ doivent être conservées à tout prix, et sont non négociables. Par exemple, la voie unique du salut en Christ est irremplaçable par quoi que ce soit. Cependant, quant aux questions qui sont implicitement déclarées et qui touchent à l’aspect pratique de la foi, découlant des implications directes de l’Écriture ou non ; elles seront ouvertes à l’interprétation, ces autres aspects sont négociables, telles que les questions pratiques de liturgie et de système ecclésial de prêtrise.

            Quant à la consonance avec la tradition, Bujo reste fidèle au Magistère et la doctrine fondamentale de l’Église catholique dans mesure où il maintient la communion de vie à travers l’eucharistie, comme unique médiation christique entre Dieu et l’humanité, et la succession apostolique pétrine. Cependant, il reconnaît l’expérience et la culture africaine comme un lieu théologique aussi valable, et met l’accent sur la catégorie africaine d’ancêtre qu’il veut à tout prix assimiler à Christ. Il y a deux risques majeurs dans sa démarche :

Le premier risque est de tomber dans le syncrétisme[23], car il mélange la catégorie africaine avec la vérité chrétienne, est que la médiation entre Dieu et l’homme se passe par deux voies : Christ et l’ancêtre. Par ailleurs, le deuxième risque chez Bujo, c’est le relativisme.  C’est-à-dire la vénération des ancêtres est aussi salvifique que le salut que Christ offre. En outre, il déclare que le souvenir libérateur des ancêtres est aussi utile que le souvenir libérateur de Christ. De même, les valeurs éthiques traditionnelles africaines ont la même valeur que l’éthique chrétienne pneumatologique.

            Quant à la fidélité à l’Écriture, Bujo retient les thèmes clés bibliques dans son approche : Le Christ comme sauveur, modèle parfait, prémices de ceux qui sont endormis, s’inspirant de Col 1, 15, 18. Mais, il ajoute certains éléments propre à la tradition de l’Église catholique romaine tels que : canonisation et messe des Saints, interprétation mystique de la médiation de Christ entre Dieu et l’humanité. Par ailleurs, il prend l’expérience africaine de l’ancêtre comme paradigme pour sa réflexion théologique qui n’a aucun lien direct avec la Bible, et relativise ainsi la vérité chrétienne.

En effet, l’autorité des déclarations théologiques dépend de leur autorité conférée selon les degrés de leur provenance de l’Écriture, source principale. Celles qui proviennent directement de la Bible seront prises plus en considération que celles issues des implications de la Bible. Tout comme celles qui proviennent des implications probables et implicites doivent suivre cet ordre décroissant. Par contre, une déclaration qui provient de la simple spéculation, et n’ayant aucun soutien biblique, sera rejetée purement et simplement. Le risque est d’aboutir à une théologie localisée au contexte africain.

Quant à l’utilité pour la communauté de foi, Bujo aborde certaines questions liées à la vie humaine telles que l’écart entre les bourgeois et les démunis, la liturgie et  celle de la co-existence pacifique entre les ethnies au sein de l’Église. Mais, il ne donne pas des solutions concrètes à ces problèmes.

En effet, les églises en Afrique doivent résoudre les problèmes réels qui se posent dans nos sociétés africaines face à la compréhension claire de la vérité chrétienne et sa pratique dans la vie quotidienne, et de la superficialité de la foi. En outre, les églises en Afrique doivent analyser les problèmes brûlants de l’Afrique tels que la peur des ancêtres méchants ou des mauvais esprits, et la pauvreté morale, économique et la médiocrité sur tous les plans. C’est pourquoi, une réflexion théologique sur la pauvreté anthropologique, la resocialisation de notre peuple, et la restructuration de l’église, adaptée à notre contexte, est nécessaire. C’est de cette façon qu’il faille lier le savoir à la pensée, ou l’académie et la vie socio-politique. C’est à ce titre que notre proposition théologique prendra le statut scientifique lorsqu’elle réfléchira sur les questions brûlantes du moment. C’es en touchant aux besoins fondamentaux de l’homme, qu’il développe l’humain. C’est-à-dire développer les relations plus humaines, et donner de solution à la paupérisation de notre population, en alphabétisant les illettrés, en développant de techniques appropriés pour hausser les revenues et le pouvoir d’achat. Considérons quelques points positifs dans la démarche de Bujo.

POINTS POSITIFS

      Les points suivants son positifs :

En premier lieu, le souci de rendre intelligible et compréhensible le message ou la vérité de l’évangile à l’homme, étant humain, est justifiable sur le plan humain et pratique. Les besoins fondamentaux de l’homme nécessitent une telle démarche contextuelle qui doit touche à son âme. En effet, la contextualisation trouve sa raison d’être dans toutes les époques et dans toutes les cultures, qui a le souci de rendre intelligible la vérité chrétienne, par l’incarnation de Christ. La justification historique de l’utilisation des titres tels que Logos, de Kurios, et d’Orphée (orphéon)[24], légitime l’usage de proto ancêtre, s’il communique véritablement la réalité de Christ.

En second lieu, la valorisation du concept culturel de l’ancêtre et de la morale ; comme source et voie pour développer une théologie. Car, la contextualisation en tant que processus reste une voie légitime pour rendre la vérité chrétienne accessible ou intelligible, et claire à travers toutes les cultures et au delà de limites de temps. En effet, le contexte culturel n’est pas une norme en soi mais tire sa légitimité d’ailleurs, c’est-à-dire de l’Écriture, qui est en même temps supra culturelle et transculturelle. C’est-à-dire que la vérité chrétienne est culturellement et linguistiquement traduisible au-delà de la limite de temps et des cultures. En outre, elle traduit la supra culturalité, c’est-à-dire que la vérité chrétienne est au-delà de toute culture. Cette dernière a de la valeur bien que relative et dérivée.

La question qui préoccupe Bujo est légitime. Elle cherche à savoir : comment peut-on intégrer la notion des ancêtres dans la vie chrétienne ou dans une perspective théologique sans contredire le message salvifique de Christ ? La question reste ouverte au débat, dans le sens d’une démarche logique qui laisse que la catégorie africaine retrouve son référant, c’est-à-dire le concept signifié dans la vérité chrétienne. Une sorte de Christianisation telle que Bujo l’aborde risque de se pencher plus sur la catégorie africaine que sur la vérité chrétienne et tomber dans le syncrétisme.

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CONCLUSION

 En guise de conclusion, nous proposons une démarche qui part d’une relecture savante de la vérité chrétienne et une analyse sociologique et anthropologique pour découvrir la catégorie africaine qui correspond mieux à la réalité de Christ dans la culture africaine. Cela exige donc de faire l’exégèse de l’Écriture tout en « décontextualisant  » ou en « désoccidentalisant  » le message chrétien. En outre, il faut l’exégèse de la culture pour tirer ses éléments valables dans la pensée africaine et les concilier avec les vérités chrétiennes. Car l’âme de l’Africain a besoin d’un évangile qui répond à ces aspirations profondes, sinon le nombre des christianisés en Afrique reste flatteur et irréaliste. On affirme en raison que « le christianisme en Afrique est comme un océan large et immense mais sa profondeur est d’un millimètre. ». Il faut traduire la vérité chrétienne dans le vécu quotidien et dans la perspective théologique pour toucher au cœur de l’Afrique. C’est une opération inverse que celle de Bujo.

La critique à son endroit est celui de vouloir forcer la christianisation de l’ancêtre et mélange le moyen de médiation entre Dieu et l’humanité. Dans sa démarche finalement Christ n’est pas véritablement au centre, mais dans la périphérie, car il est égal à l’ancêtre. Sa personne est altérée. Dans une recherche ultérieure, la question reste une matière en réflexion. La question : Comment peut-on intégrer la vénération des ancêtres dans la vie chrétienne ou la réflexion théologique sans contredire le message salvifique, que soulève Bujo, est légitime. Certes, la question est pertinente  à cause de ses implications sur la vie ecclésiale, tel que le style pour la prêtrise en Afrique, la structure ecclésiastique pour l’Église en Afrique et au modèle de la succession des autorités catholiques de l’Église en Afrique. En outre, certaines valeurs éthiques sont utiles pour la vie en communauté et la concorde au sein de la famille de Dieu. La notion de l’église famille de Dieu peut jouer un rôle prépondérant dans la resocialisation de nos sociétés africaines où la cohabitation interethnique devient précaire.

Mais, la question qui demeure est celle de savoir comment traduire correctement la catégorie africaine pour la rendre accessible à son contexte sans contredire la vérité chrétienne concernant Christ?

En sus, Christ est l’unique voie au salut. Cependant, le souci de rendre accessible le message à l’âme de l’Africain est légitime. C’est un problème est méthodologique. A cet effet, la nouvelle approche de la théologie narrative met dans l’avant plan le bas peuple, qui est habitué à l’oralité. L’Ancêtre n’est pas médiateur au même titre que Christ. Bien évidemment, Bujo ne le dit pas de manière explicite, mais très subtile.

Comme la piste de solution, nous proposons une « contextualisation critique  », avec les missiologues Hiebert et McGavran, qui nécessite ainsi l’exégèse de l’Écriture et de la culture afin de trouver un pont herméneutique, c’est-à-dire une voie de réconciliation entre la catégorie africaine, le « signifiant  » et la réalité de Christ dans l’Écriture, le « signifié  » ; dont le contenu conceptuel sera utile pour communiquer la vérité chrétienne dans le cœur de l’Afrique. Donc, il faut connaître l’Écriture et maîtriser les éléments de la culture pour communiquer Christ efficacement en Afrique. D’où, la ré évangélisation de l’Afrique par un évangile simplifié, qui pénètre dans le vécu quotidien de l’Africain.

BIBLIOGRAPHIE

LIVRES

BUJO, Bénezet. African Theology in Its Social Context. Trad. de l’all. , Nairobi,1986.

_______, Les dix Commandements en Afrique. Pourquoi faire ?

Diane B. STINTON. Jesus of Africa : Voices of Contemporary African Christology. Maryknoll : Orbis, 2004.

 FACKRE, Gabriel. Christology in Context. Vol. 4. Grand Rapids : Eerdmans, 2006.

REVUES

Bujo, Bénezet [1] « Qu’en est-il de nos ancêtres, ces Saints inconnus” dans le Bulletin de Théologie Africaine, vol.1,  no 2,  juillet-Decembre 1979, 177.

_______, « Ethique et Vieillissement  » dans Concilium no 235 (1991).

 

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[1] Wyles LEITCH, « Parler de Dieu qui parle : vers une théologie du langage et du sens » conférence tenue à la FATEB, le 30 Janvier 2008. Leitch en un doctorat en linguistique et prépare sa maîtrise en théologie. Il enseigne à la FATEAC à Coté d’Ivoire avec une expérience dans la traduction et en Afrique francophone.  Il affirme que : « l’homme se retrouve coincer entre la pré-modernité, la modernité et la postmodernité ».

[2] Le Zimbabwéen Roy MUSASI.

[3] Kabasele Lumbala François.

[4] Léopold Sedhar Senghor in Christianisme et Humanisme en Afrique, 267. 

[5] BUJO Bénezet, « pour une éthique africano-christocentrique  » A. NGINGU MUSHETE (sous dir.) in Combats pour un Christianisme africain (Kinshasa : Faculté de Théologique Catholique, 1981), 27-29.

[6] Gabriel FACKRE, Christology in Context, vol. 4 (Grand Rapids : Eerdmans, 2006), 23.

[7] Ibid.

[8]  « Construire l’Église-famille de Dieu  à partir du sanctuaire intérieur » in Christianisme et Humanisme, 267.

[9] Bujo Benezet, African Theology in Its Social Context, 23.

[10] Le totem est un animal, considéré comme sauveur du clan,  selon la tradition du clan, cet animal serait mort à lieu et place du proto ancêtre. Tous les descendants sont prohibés de manger de sa chair. Dans mon clan, c’est une sorte d’antilope géant nommé «ngabe » qui interdit de consommer. Tous les membres s’identifient par rapport à cet animal, qui fait la fierté du clan.

[11] Yusufu TURAKI, Tribal God of Africa : Ethnicity, Racism, Tribalism and the Gospel of Christ (Nairobi, AEA, 1977), 44 [notre traduction].

[12] selon l’information donnée par le pasteur responsable de Perspectives Réformées internationales au Bénin en visite à Bangui.

[13] LOBHO LWA DJUGUDJUGU  «           » in Bulletin de Théologie africaine, vol 1, no 2 (1979).

[14] Donald J. O.P Gœrgen "The Quest for the Christ of Africa" The Journal of the Faculty of Theology, Catholic University of Eastern Africa, vol. 17, # 1 (September 2001).

[15] Diane B. STINTON, Jesus of Africa : Voices of Contemporary African Christology, Maryknoll : Orbis, 2004.

 

[16] IDENTITE ET ŒUVRES DE BUJO. Bujo Bénezet est congolais, de la République Démocratique du Congo, originaire la Chefferie de Bahema Nord, du Territoire de Djugu, du District de l’Ituri, Province Orientale. Il est né à la Mission catholique de Drodro en 1940, il a fait ses études au Congo, et en Allemagne, à Wurtbourg et à Munich. Il professeur de théologie morale à la Faculté de Théologie catholique de Kinshasa et de Fribourg en Suisse. Il est auteur de plusieurs ouvrages en allemand en anglais et en français, dont certains qui se penchent sur la Christologie et la théologie morale, entre autres : African Theology in Its Social Context, 1986, trad. de l’all.; Morale africaine et foi chrétienne,1976, 1980 ;  African Christian Morality at the Age of Inculturation,1980;[16]Les dix commandements en Afrique, pourquoi faire ?En outre, il écrit beaucoup d’articles, notamment : « éthique et vieillissement », «nos ancêtres, ces Saints inconnus », pour ne citer que ceux-là. Il tient des multiples conférences dont l’une d’elles, que j’ai eue le privilège de suivre personnellement, en 1984 à l’Institut Supérieur Pédagogique de Bunia (ville située au Nord-Est du Congo-Kinshasa), avec pour thème « Evangéliser les christianisés ». Dans cette conférence, il s’est appesanti sur l’évangile dont le contenu n’a pas de couleur. Car, il prend la couleur de son contenant. C’est une réalité que les christianisés africains n’ont pas expérimenté dans leur vie. D’où, la nécessité de les ré-évangéliser, c’est-à-dire que le message doit s’incarner effectivement dans la vie de l’Africain.  D’où, nous avons proposé cet article intitulé : « Evangéliser le cœur de l’Afrique. » POUR LA SENSIBILITE DE BUJO ; Il est un abbé de l’Église Catholique Romaine de Diocèse de Bunia mais modérée. Bien qu’il reste attaché à la doctrine fondamentale catholique, en particulier au Magistère, il s’intéresse à la théologie morale mais aussi cherche à valoriser la morale africaine. En outre, à sa qualité d’enseignant, Il s’intéresse à l’incarnation de l’évangile dans le Christianisme africain mais aussi à l’inculturation pour libérer l’Afrique des préjugés de l’Occident.

 

[17] BUJO, Bénezet «Qu’en est-il de nos ancêtres, ces Saints inconnus” Bulletin de Théologie Africaine, vol.1, no 2, juillet-Décembre 1979, 177.

[18] BUJO, African Christian Morality at the Age of Inculturation (Nairobi : Paulines Publications, 1990), 73.

[19] Swahili est une langue bantou mélangé à l’arabe, il est langue véhiculaire parlée à l’Est de l’Afrique dans les pays suivants : Tanzania (Zanzibar), Kenya, Ouganda, Congo partie Est, Rwanda, Burundi, une partie de la Zambie, de Mozambique et d’autres frontières communes avec ces pays précités. 

[20] Benno Van den TOREN, « Introduction à la théologie évangélique  » Fascicule du cours de Prolégomènes à la dogmatique, cours dispensé à la FATEB, 2005-2006.

[21] Les deux termes appartiennent à deux catégories qui sont distinctement différents ? L’un est « absolu  » (non dérivé), et l’autre est « relatif » (dérivée), c’est-à-dire la question de la vénération des ancêtres est une sorte de croyance généralisée constante mais qui n’est pas absolument vrai bien que généralement accepté.

[22]

[23] Syncrétisme pratique qui se distingue du syncrétisme théologique.

[24] Un personnage mythique grec pris pour l’assimiler à Christ dans le christianisme primitif.